Un récent débat organisé par le Parlement européen en collaboration avec l’Université Catholique de Louvain, à l’initiative du Professeur Edoardo Traversa, a mis en lumière les difficultés qu’il y a à réaliser ce qui a été le but de l’initiative du pilier 1 de l’OCDE.
Le projet présenté en 2018 tendant à attribuer aux pays du marché une partie du bénéfice des sociétés qui réalisent dans ce pays sans y disposer d’un établissement stable n’a pas fait l’objet d’un consensus. La porte est donc ouverte à l’introduction par différents pays de taxes indirectes sur les prestations de service, taxes déjà introduites dans plusieurs juridictions, parmi lesquelles la France, l’Italie et le Royaume-Uni. L’Union européenne est à la recherche d’une solution de rechange et envisage la création d’une taxe européenne sur les services. Faute de pouvoir atteindre un consensus sur le remplacement du concept d’établissement stable, largement matériel, par une sorte d’établissement stable immatériel qui aurait résulté du pilier 1, certains prônent l’introduction d’une taxe indirecte.
Le danger est que cette taxe soit considérée comme discriminatoire par les pays de résidence des multinationales qui y seraient soumises. Elle s’appliquerait aux entreprises réalisant plus de 750 millions de chiffre d’affaires ou en Europe 50 millions. Elle ne s’appliquerait pas aux entreprises établies dans l’Union européenne. Le reproche qui peut lui être adressé est donc évident. Si l’on ne taxe pas les entreprises de l’Union, c’est parce que l’on considère qu’elles sont taxées à l’impôt des sociétés sur la totalité de leurs bénéfices dans leur pays de résidence. Les pays tiers, et en particulier les Etats-Unis, peuvent répondre exactement la même chose. Alphabet est en principe taxée aux Etats-Unis sur le profit qui résulte de ses investissements qui lui ont permis de développer les services immatériels qu’elle fournit. Les firmes européennes comme Airbus ont également développé un savoir-faire qui leur permet de rendre des services immatériels à l’étranger où personne ne songe à taxer leurs bénéfices en l’absence d’établissement stable. Il faut donc s’attendre à des mesures de rétorsion si une taxe européenne sur les services était introduite selon le modèle envisagé.
Le danger est grand car les exportations de biens matériels en provenance de l’Union européenne ont une importance considérable, à comparer avec le rendement d’une taxe qu’elle introduirait sur les services immatériels prestés dans l’Union par des entreprises de pays tiers.
Une autre solution, non discriminatoire celle-là, serait de soumettre tous les services immatériels à la TVA. Sans doute cette taxe serait-elle perçue au détriment des consommateurs européens. Toutefois, on peut s’attendre, si une taxe européenne sur les services étaient introduites, à ce que les entreprises étrangères en répercutent également le coût sur les consommateurs, avec un résultat comparable à celui de l’instauration d’une TVA sur ces services.
Une taxe sur les services serait d’ailleurs génératrice de difficultés de recouvrement. Si l’on peut s’attendre à ce que les grandes entreprises multinationales la paient volontairement sur déclaration, tel ne serait pas le cas de tous les fournisseurs de services. Il faudrait donc trouver des solutions technologiques permettant le recouvrement de cette taxe. En matière fiscale, tout est basé sur des conventions. La convention était jusqu’à présent que, d’une part, seule la présence d’un établissement stable donnait lieu à taxation à l’impôt direct et que, d’autre part, lors d’un passage de frontière, seuls les biens matériels à l’exclusion des services étaient frappés par un tarif douanier. La modification de ces conventions paraît difficile en l’absence d’un accord mondial. L’attitude actuelle des Etats-Unis, augmentant leurs tarifs douaniers, laisse une place à l’Union européenne comme leader mondial et modéré de la globalisation en introduisant une taxe qui pourrait être jugée discriminatoire et susciter des mesures de rétorsion. Elle abandonnerait en quelque sorte ce rôle potentiel de champion du multilatéralisme.
Jacques Malherbe