Fédéralisme belge : Un début dans l’illégalité


Le 4 mars 2023, une émission de la RTBF revenait sur un curieux épisode lié aux débuts du fédéralisme belge. Pour rappel, à côté du Parlement fédéral composé d’une chambre et d’un sénat avaient été institué des conseils régionaux flamand et wallon traitant des matières régionales. Un parlement de la Communauté française traitait des matières dites personnalisables pour la Communauté française tandis qu’en Flandre le Conseil régional flamant s’était adjoint cette compétence. La Province du Brabant existait encore, comprenant un Brabant flamand et un Brabant wallon. Un mécanisme d’apparentement permettait des reports de voix entre arrondissements judiciaires. Il arriva en 1986 qu’au sein du Conseil régional wallon un membre de la Volksunie, parti nationaliste flamand, domicilié à Erembodegem, devint, par la voie de l’apparentement, membre du Conseil régional wallon. Celui-ci était composé de 104 membres. Deux partis, le parti libéral et le parti social-chrétien, voulurent former un gouvernement dont étaient exclus le parti socialiste et le parti écologiste. À parité de voix, les décisions étaient rejetées. La présence de M. Toon Van Overstraeten, cet élu flamand, empêchait la constitution de cette majorité.

En Belgique, les assemblées législatives contrôlent elles-mêmes leur composition et donc la qualité des élus à siéger. En effet, il est impensable que ce contrôle soit laissé à l’exécutif. Il ne peut être davantage laissé au pouvoir judiciaire. La lenteur d’une procédure judiciaire risquerait de laisser le pays sans majorité et donc sans gouvernement pendant une longue période. Il appartenait donc au Conseil régional wallon de valider l’élection de M. Van Overstraeten. Cette élection était parfaitement régulière. On comprend qu’elle ait été une surprise. Le décompte des votes par arrondissement est en effet plus rapide que le calcul de l’apparentement qui exige, en système Dhondt de représentation proportionnelle, un décompte des voix qui peuvent être reportées vers d’autres arrondissements. Le parti libéral et le parti social-chrétien s’étaient mis d’accord dès le premier décompte et furent déçus, on le comprend, par le second.

Le vote sur la validation des pouvoirs de M. Van Overstraeten débouchait sur une égalité de voix, à 52 de chaque côté, et donc sur un rejet de son exclusion, qui était par ailleurs contraire à la loi. L’opposition et M. Van Overstraeten se retirèrent de l’assemblée qui n’avait donc plus le quorum de la moitié des députés nécessaire à un vote. Le président recourut alors à un stratagème en organisant un vote par assis et levé, qui ne nécessite pas de quorum. M. Van Overstraeten fut exclu et empêché par la police militaire, gardienne des lieux, de reprendre place dans l’hémicycle. Le gouvernement fut constitué sous la présidence de M. Melchior Wathelet, PSC. Lors de son investiture, les élus socialistes et écologistes protestèrent violemment. M. Louis Michel, alors président du Conseil régional, n’hésita pas à les stigmatiser d’autant plus qu’un public composé d’autres élus nationalistes flamands étaient venus soutenir leurs collègues dans la salle parmi le public.

Le scénario se répéta, de façon moins violente, lors de l’installation du Parlement de la Communauté française, qui exclut également M. Van Overstraeten. Celui-ci déposa des recours judiciaires à propos desquels les tribunaux se déclarèrent évidemment incompétents compte tenu des pouvoirs exclusifs des assemblées législatives.

Cet incident mène à des réflexions sur la permanence du parti socialiste dans le gouvernement wallon depuis 40 ans. Ce parti ne fut écarté du pouvoir que pendant deux fois une période de deux années, la première se situant à l’époque de l’incident commenté et la seconde en 2017 au moment où M. Benoît Lutgen, président du parti social-chrétien, décida de rompre son alliance avec les socialistes pour former, par voie d’une motion de méfiance constructive, un gouvernement de remplacement avec le Mouvement Réformateur (parti libéral). Ce gouvernement tenait aussi à une voix de majorité, qu’il perdit lorsqu’une élue libérale rejoignit un libéral indépendant, M. Destexhe, qui siégeait en dehors du mouvement réformateur. Le gouvernement vivota jusqu’en 2019 sans pouvoir prendre de décisions importantes.

L’apparentement fut supprimé au plan fédéral même s’il subsista au plan régional. La Cour européenne des Droits de l’homme condamna d’ailleurs la Belgique, à la demande d’un représentant du parti des travailleurs de Belgique (PTB) qui se plaignait de l’absence de recours contre une décision lui refusant de siéger alors qu’il estimait bénéficier de ce droit par apparentement.

Pour que la Belgique se conforme à cette décision de la Cour européenne, elle devrait modifier sa Constitution, ce qui n’a pas encore été possible à cette date.

Un commentateur déduit de ces rappels historiques qu’il est pratiquement impossible de gouverner la Wallonie en l’absence du parti socialiste qui détient non seulement un pouvoir politique mais une influence prépondérante dans les institutions publiques de la Région.